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En urbanisme, maintenir une échelle locale de gestion est fondamental pour Alberto Magnaghi, penseur de la biorégion urbaine, ainsi que pour Silvia Grünig Iribarren dans sa lecture des travaux d’Ivan Illich sur les communaux.

Un urbanisme convivial (L’urbanisme selon Ivan Illich – d’après Silvia Grunig Irribaren)

Produire l’énergie, et les infrastructures énergétiques, consiste à fabriquer des dispositifs tangibles, du « hardware », quelque chose de concret, que l’on peut voir ‘’sortir de terre’’. Pour les acteurs qui en étaient auparavant exclus, choisir d’être au cœur même de cette fabrication, de cette production, signe un changement du paradigme historique de l’invisibilisation sociale (et physique pour partie) de l’énergie. Dans un travail de recherche sur l’urbanisme convivial, Silvia Grünig Iribarren appelle ce processus le « recouvrement des communaux ».

« [Le recouvrement des communaux], c’est le passage du consumérisme passif à l’action, de la condition de spectateurs à celle d’acteurs ». Et elle poursuit : « action, créativité, compétences et apprentissages trouvent un terrain privilégié dans les communaux. » (Grünig Iribarren 2018:277). « Des communaux que je veux bien définir comme les lieux habités vivants où s’incarnent la parole, l’ascèse et l’amitié. » (Grünig Iribarren 2018:274).

« Roberto Esposito rappelle que le mot communaux (commons), qui remonte au Moyen Age, dérive du latin munus qui désigne un élément essentiel de la séquence du don, telle que l’analysent Mauss et Benveniste. Le recouvrement des communaux est, lui, un enjeu environnemental, économique et social. C’est tout autant le recouvrement du sens, du bon sens, du sens commun perdu dans l’Absurdistan, que celui des espaces physiques et symboliques de la vie communautaire, les pâturages ou les bois partagés, le silence nécessaire à la parole et l’eau des rêves.

Dans le contexte de la transformation des lieux en espace et de l’espace en matière par la société industrielle, dans le contexte, également, des pulsions de virtualité qui émergent à l’ère des systèmes, ce recouvrement excède le cadre du droit traditionnel qui régissait les terrains communaux pour s’ouvrir à un champ beaucoup plus vaste et certainement plus suggestif : celui de la reconstruction d’une éthique à partir de l’interrogation relative à ce qui reste du lot commun, mais aussi à ce qu’on peut y recréer dans chaque communauté, à partir de chaque ethos. Une précision importante reste à apporter : les communaux, pour Illich, sont toujours rattachés à une communauté enracinée en un lieu, si bien que toute considération des communaux élargie à des notions globales est hors question. En ce sens, les communaux planétaires dont certains auteurs parlent seraient un oxymore. » (Grünig Iribarren 2018:277).

« Les communaux sont un substrat fertile de pratiques démocratiques et sociales complexes où s’incarnent l’ascèse et l’amitié, l’hédonisme et la célébration. Entendus comme l’inverse d’une ressource économique, les communaux sont les lieux conspiratifs où s’incarnent les pratiques vernaculaires qui limitent, et la démesure, et la rareté. » (Grünig Iribarren 2018:291).

Un urbanisme régional (Alberto Magnaghi)

Dans un entretien à Métropolitiques en 2018, Alberto Magnaghi explique : « L’échelle fondatrice pour moi est celle du local, sans laquelle on ne peut pas réorganiser et construire la société de la proximité, que l’on pense à André Gorz, à la notion de convivialité pour Illich, ou à celle de contact pour Françoise Choay. Ce n’est pas pour rien que Platon disait qu’une ville ne devait pas dépasser 5 000 habitants, il pensait au dimensionnement de la ville à partir du problème de sa gouvernance démocratique. » (Fiori et Magnaghi 2018:3).

L’entrée d’Alberto Magnaghi est de prôner un retour au local qui ne soit pas que géographique mais aussi économique et politique, en repensant les lieux et le territoire (Magnaghi et Bonneau 2014). Selon lui, chaque lieu possède un patrimoine territorial : milieu ambiant, paysages, établissements humains et contexte socio-culturel. Le territoire est une construction s’appuyant sur l’histoire des lieux et les relations qui existent entre les différents constituants de ce même territoire. Dans la même idée que la théorie des communs, A. Magnaghi préconise, pour faire usage collectivement de l’immense patrimoine territorial existant, « d’approfondir la notion de territoire comme bien commun et ses outils de gestion potentiels » (Magnaghi et Bonneau 2014:68).

Pour permettre de réaliser ce territoire bien commun, l’auteur propose le concept de biorégion urbaine, s’appuyant sur une série de concepts, moyens et objectifs :  la reterritorialisation, la conscience du lieu, la biorégion comme instrument interprétatif et projectuel du retour à la terre, les cultures et les savoirs du territoire et du paysage comme « fondations cognitives de la biorégion », des centralités urbaines polycentriques, des systèmes productifs locaux valorisant le patrimoine de la biorégion, la valorisation des ressources énergétiques locales pour l’autoproduction de la biorégion, des « pactes ville-campagne » jouant sur la mutifonctionnalité agro-forestière, un « fédéralisme participatif » auto-centrant le gouvernement et la production sociale, la « production sociale du paysage », une recomposition des savoirs visant l’autosoutenabilité de la biorégion.

Dans un entretien sur l’utopie, Françoise Choay se positionne dans ce courant de pensée (Choay 2006). Elle explique : « se réapproprier le patrimoine (urbain ou paysager) en tant que valeur d’usage identitaire, c’est résister à la mondialisation, et tous ceux qui s’engagent dans cette résistance sont aujourd’hui des utopistes potentiels. Mais, attention, il ne s’agit pas de passéisme. Ce qu’il faut combattre, ce n’est pas la technicisation du monde en soi, mais son hégémonie, qui tend à une civilisation minimale unique. Visons, comme Alberto Magnaghi, « la mondialisation par le bas ». Autrement dit, sachons utiliser toutes les prothèses à travers lesquelles s’accomplit la mondialisation, mais qu’elles soient au service d’un projet local préalable. » (Choay 2006:3).

Sources

CHOAY Françoise, 2006, « L’utopie aujourd’hui, c’est retrouver le sens du local », Aroots Architculture, 2.

FIORI Sandra et MAGNAGHI Alberto, 2018, « Les territoires du commun. Entretien avec Alberto Magnaghi », Métropolitiques, 10 mai 2018, p. 5.

GRÜNIG IRIBARREN Silvia, 2018, Ivan Illich. Pour une ville conviviale ?, Le bord de l’eau., Lormont, (coll. « Altérité critique »).

MAGNAGHI, Alberto et BONNEAU, Emmanuelle, 2014, La biorégion urbaine: petit traité sur le territoire bien commun (Vol. 1). Paris: Eterotopia France.